Don’t Leave Me Now – Samuel Lebon, Ne pleure pas sur moi

Un premier roman fabuleusement belge mais qui se réclame du « jus de bayou », cet esprit louisianais croisant le grand rire noir musical (dont Llewelyn Powys nous a déjà appris à nous méfier, ainsi que Julien Delmaire), la nonchalance des racines bien amarrées et les bêtes sauvages à ne pas déranger : c’est par ces appâts prometteurs que Ne pleure pas sur moi s’est imposé dans mes lectures prioritaires. Samuel Lebon dévisse la bouteille et partage son ivresse stylistique dès le démarrage en trombe. Sa Darline, grande nana marginale et onaniste qui tient le journal de bord que nous allons lire, se retrouve plantée lors d’un rencard auquel Lennon, son amour de toujours, n’a pas daigné se rendre, habitant pourtant la péniche d’en face. Affublée de sa fille handicapée qu’elle semble ne plus pouvoir supporter, elle se met en route dans un tacot branlant, avec pour seules boussoles une cassette audio et sa détermination à le retrouver avant qu’il n’accomplisse un geste malheureux : il a décidé de se castrer. Boyaux dehors, cœur pur et gueule bien ouverte, Darline prend la route jusqu’aux Flandres en roue libre, ponctuellement escortée par une myriade de personnages attachants, tordus, célèbres (ce n’est pas Nick Cave, là, dans son sac de couchage, sur la terrasse d’une cabane perchée ?). Elle convoque le destin et y croit dur comme fer : si elle se dépêche, elle arrivera à temps pour le convaincre, et elle sera de nouveau mère. Ils se connaissent depuis leur naissance, à dix minutes d’intervalle : il lui doit un enfant qui ne soit pas de traviole.

Ce court texte d’amour et de béances, fracassé et inattendu, suppure de références explicites pour les amateurs de dingueries du plat pays : Calvaire, Alabama Monroe et j’en passe. Il s’avère bien moins gratuit que son postulat d’ouverture et ses poses cavalières ne le laissent supposer. La fin, qu’il convient de ne pas dévoiler, explose au palais comme une évidence brutalement niée tout au long du périple. Elle ourle tout le roman – sans laquelle il n’aurait été qu’une habile cabriole cabotine – d’une brume tragique et puissante. On n’en tente plus tant, dans la blanche, de ces fins qui accomplissent un livre.

Loin de se soucier de « maîtriser » quoi que ce soit, Samuel Lebon s’est jeté dans le bain du style et du nerf, du délire sans filtre – on acceptera par exemple, ou non, sa prose souvent rimée : le résultat flotte un peu, il se balance contre l’habitacle d’une voiture lancée dans la pente herbeuse sans se soucier de l’arbre qui vient, mais malgré ses efforts de sabotage certains, il ne se défait pas d’une nocturne sauvagerie qui lui donne plus de trempe qu’il semble s’en apercevoir. J’aurais préféré qu’il tempère quelques pitreries, mais sa liberté de ton m’enchante. Son intime connaissance d’une mère larguée, d’1m80, me surprend. Je suis chez moi dans ce livre sans m’interroger plus avant sur cette familiarité. Entre deux chefs-d’œuvre, cet accueil généreux et jovial rassérène comme une auberge fumante sur la route des cimes.

Petit clin d’œil : la couverture a été réalisée par l’artiste Sergio Aquindo… qui lui aussi donnât un intéressant premier roman plus tôt cette année, et chroniqué ici.

Samuel Lebon, Ne pleure pas sur moi, Le Dilettante, 2023, 160 pages.

Ouvrage reçu en service de presse.

Paméla Ramos

Née en 1980 en France, ancienne libraire, je travaille dans l'édition et la communication. Mes chroniques ici postées sont le reflet de ma passion principale : lire. Elles découlent de choix parfaitement libres et ne sont jamais rémunérées. Lorsqu'un livre m'a été offert, je l'indique.

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