L’empire des cygnes • Les cygnes sauvages, de Kenneth White

Je lis Kenneth White doucement pour qu’il m’en reste toujours à découvrir, tout n’est pas nécessairement de génie à chaque page, mais sa compagnie littéraire insolente et réfractaire demeure inestimable.

Ici, dans Les cygnes sauvages, «voyage-haïku» de 1990 traduit par sa femme Marie-Claude White, il se met dans les pas de Basshô, le poète japonais ermite, parti sur les routes vers les montagnes du Nord en nous laissant son fameux récit sur ce chemin étroit, hostile.
Le Japon qu’entreprend de traverser White a bien changé, et l’on s’en amuse avec le voyageur qui ne perd aucune occasion de croquer en passant une rencontre furtive, farouchement jaloux de sa solitude contemplative. Il espère arriver à Hokkaïdo (depuis Tokyo) à temps pour voir arriver les cygnes sauvages, mais l’on comprend bien que chaque pas sera déjà l’occasion de rêver, de fouiller cette langue magique, le japonais, qui caresse les racines du soleil, d’éprouver les dépaysements cocasses d’une Amérique aux cowboys singés en plein Japon rural, l’on se tait et l’on profite de la traversée en humant goûlument les airs enivrants d’une nature crainte, souvent matée, toujours divine avec un guide qui s’en défend, qu’on ne saisira pas complètement, qui divague en pas de côtés dans son élément principal : l’esprit.

Pélerin du vide en son arrière-pays inviolable, Kenneth White verra ses cygnes, sur ou sous les motifs du grand Nord et qu’importe : il nous les fera voir, et personne ne pourra nous enlever, à l’avenir, la puissance de cette vision d’envol.

«Si la plupart des esprits occidentaux ne peuvent imaginer les cygnes que flottant, c’est parce qu’ils ont oublié ce qu’est un cygne sauvage.»

« [Strabon écrit que] le cygne est en paix avec toute la Nature; il vit en ami plutôt qu’en Roi au milieu des nombreuses peuplades des oiseaux aquatiques, qui toutes semblent se ranger sous sa loi ; il n’est que le chef, le premier habitant d’une république tranquille, où les citoyens n’ont rien à craindre d’un maître qui ne demande qu’autant qu’il leur accorde, et ne veut que calme et liberté.»

Kenneth White, Les cygnes sauvages, traduit par Marie-Claude White, Editions Grasset, 1990, 180 pages. Livre acheté d’occasion (épuisé).

Paméla Ramos

Née en 1980 en France, ancienne libraire, je travaille dans l'édition et la communication. Mes chroniques ici postées sont le reflet de ma passion principale : lire. Elles découlent de choix parfaitement libres et ne sont jamais rémunérées. Lorsqu'un livre m'a été offert, je l'indique.

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