Alors, je supportai de me côtoyer de près | Cadence, Stéphane Velut

« Cette chose que j’abritais n’avait rien d’étranger, ce n’était qu’une variante, qui me distinguait, un désordre que je finis par tolérer. Alors, je supportai de me côtoyer de près, ce que la plupart des hommes exècrent. » p13.
« L’ensemble était un prodige de précision. J’ajouterai que Félice dut le soir même apprendre à la petite à se nourrir car le système n’autorisait à sa bouche de s’ouvrir que lorsqu’elle tournait la tête. Ne me demandez pas comment. En tout cas, en résultait tout le temps des repas un mouvement incessant de son crâne. Bien heureusement ma poupée – je peux décidemment bien la nommer ainsi à présent – s’y accoutuma aisément. Quant aux mots qu’elle cherchait à prononcer, elle n’y parvenait pas, c’est vrai, mais je les imaginais. Nul besoin donc de les entendre. » p80.
« Voir une figure humaine avant de sombrer. » p140.
« Je ne pouvais retarder plus longtemps l’épreuve de la toilette à laquelle m’invitait la porte de la salle de bain ouverte. Je ne pouvais éviter plus longtemps ce cauchemar. Je me levai, me tins droit devant le grand miroir et commençai d’enlever un à un mes vêtements. Ce que je vis de mon reflet nu était parfaitement rassurant : le cou, la poitrine, le visage et les cheveux étaient les miens. Mais que je touche une partie de mon corps et j’y sentais la toison tiède et veloutée d’un rat. Voilà ce qui est difficile à comprendre : il ne restait plus que mon propre regard à ne pas percevoir la bestiole que j’étais devenu. » p147.
« Mais j’aurais dû me méfier. J’ouvris ma porte et je commis une désolante erreur, par négligence, comme on le fait quand l’insouciance se mêle à la fatigue, la seule erreur je crois depuis que j’habitais ici : je laissai béante l’ouverture de mon antre. » p180.

Je crois pouvoir m’en tenir à ces coupures, détachant sous les cartilages quelques morceaux tendres, ceux-là même qui, recomposés, forment les armatures du drôle de petit bouquin ciselé que je viens de terminer. Rien de nouveau, pour autant, sous le soleil de cendres de nos compagnons de noirceur. Mais la caresse chaude d’un esprit de travers, contraint par les attelles d’un style classique et impeccable, se refuse rarement.

Stéphane Velut, Cadence, Bourgois, 2009.

Crédits : Le rat par Jacques Seve -1758

Paméla Ramos

Née en 1980 en France, ancienne libraire, je travaille dans l'édition et la communication. Mes chroniques ici postées sont le reflet de ma passion principale : lire. Elles découlent de choix parfaitement libres et ne sont jamais rémunérées. Lorsqu'un livre m'a été offert, je l'indique.

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