« Notre destin commun, écrivains qui obéissons à l’appel de la vocation et non à l’appât du lucre, est une perpétuelle recherche de prétextes afin d’éloigner le moment de prendre la plume. Aussi, c’est avec empressement que la réalité se charge de nous les fournir et c’est avec une sympathie subtile qu’elle s’associe à notre paresse. »
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C’est ainsi qu’empêtré dans la résolution du meurtre d’une traductrice dans l’hôtel balnéaire où il est venu trouver – le croyait-il – le calme nécessaire à l’écriture de scénarios, s’exprime au milieu de ce petit roman parodique le médecin homéopathe (et il y tient) Humberto Huberman. Encerclé par une tempête de sable, des marécages boueux recouverts de crabes où l’on ne retrouverait pas vivant son cheval et un océan déchaîné, dans un hôtel vétuste où il est interdit d’ouvrir les fenêtres, il avait toutes les chances, pourtant, de se contraindre à l’inspiration. Seulement voilà, les faut toujours qu’il y ait des convives, des hôtes et leur famille, et lorsque, qui plus est, l’une d’entre eux périt et que d’autres disparaissent, il faut bien remettre son Pétrone à plus tard et prouver qu’un intellectuel puisse être d’une quelconque utilité sur le terrain. Ce huis clos mené allègrement proposera une résolution originale, que tout lecteur accoutumé à l’irrévérence argentine et son élégante crudité aura néanmoins vu venir.
Écrit à quatre mains par Silvina Ocampo et son mari Adolfo Bioy Casares et proposé en 1946 pour une nouvelle collection, Le Septième Cercle, qu’il codirige avec Jose Luis Borges, Los que aman, odian se savoure en quelques heures comme une murder-party excentrique et légère, émaillée de considérations littéraires, qu’un François Ozon aurait porté à l’écran avec délice (même s’il existe apparemment déjà une adaptation Netflix du roman). De quoi se tirer astucieusement des sables mouvants lors d’une période de désœuvrement critique.
Silvina Ocampo et Adolfo Bioy Casares, Ceux qui aiment, haïssent, traduit de l’espagnol (Argentine) par André Gabastou pour les éditions Bourgois en 1989, repris en poche chez Cambourakis (2022, 142 pages).