« La bonne prose est comme une vitre transparente.» George Orwell
George Orwell, dans « Pourquoi j’écris »*, détache, en 1946, quatre grandes motivations à l’origine de tout acte d’écrire :
- La visée politique
- L’inspiration historienne
- L’enthousiasme esthétique
- Le pur égoïsme
Avec facétie et fluidité, Deborah Levy, anglophone élevée dans les années 60-70 entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre, s’empare de ces pistes et bat les cartes pour en faire le plan du premier volet d’une trilogie qu’elle nomme living autobiography (autobiographie vivante).
Réfugiée à Majorque après un cataclysme personnel, la jeune femme déplie la carte de ses premières années (jusqu’à ses quinze ans environ), au prétexte d’une conversation avec un épicier chinois rencontré sur place. L’Apartheid, la disparition de son père, l’Angleterre des seventies, mais aussi sa scolarité adorée chez les nonnes, sa fascination pour « les gens en plastique », sa pitié pour une perruche en cage, se mêlent avec brio, en tenant les promesses faites à Orwell (son texte se présentant ouvertement comme une réponse à celui-ci), avec de très belles envolées sur les paradoxes de la maternité, la place d’une femme qui écrit, l’impossible réunion sereine d’une personnalité qui a toujours été émiettée, l’émancipation tour à tour dévorée ou boudée.
C’est le premier texte que je lis de Déborah Levy et si j’admets qu’il ne m’en restera pas nécessairement beaucoup d’ici peu, j’en retiens un exercice de style réussi haut la main (se livrer tout en restituant une époque, et des considérations fines à son propos, partir de soi mais n’écrire presqu’exclusivement que sur les autres, tout en se souciant du plaisir de son lecteur qui la suit aisément (sans doute grâce à la traduction, en français, de Céline Leroy) dans ses souvenirs, sans décrocher, ni jamais être alourdi par aucune confidence, aussi douloureuse soit-elle.
Calme, distance, style : de quoi réconcilier avec l’autofiction, et un certain art du discernement dans la condition féminine qui, sans trop appuyer, dit ce qu’il est nécessaire de rappeler pour que le projet entier prenne tout son sens. Ce fut une chouette distraction, j’ai souvent pensé à un autre sud-africain, J.M. Coetzee, et j’entends poursuivre un jour avec les deux autres volets de sa trilogie, en visant ce simple, mais très satisfaisant état d’esprit.
Deborah Levy, Ce que je ne veux pas savoir [2013], traduit de l’anglais par Céline Leroy, Éditions du sous-sol, 2020, 138 p. Acheté d’occasion.
*On trouvera ce court texte, « Pourquoi d’écris », de George Orwell dans le recueil des éditions Ivrea / L’encyclopédie des nuisances, Dans le ventre de la baleine et autres essais, 2005.




