Georges Bataille, dépenser pour soi

Once there was class war, but not any longer ’cause we are all bourgeois now.

Ce qui me semble exemplaire dans le texte qui suit, tiré de La notion de dépense de Georges Bataille (La part maudite, éditions de Minuit, 1967, pages 37-38), c’est bien évidemment la lecture métaphorique que l’on peut en faire, l’homme pouvant être riche, bourgeois, noble ou misérable dans bien des domaines, même si sa lecture littérale reste jubilatoire.

«  La jalousie d’être humain à être humain  se libère comme chez les sauvages, avec une brutalité équivalente : seules la générosité, la noblesse ont disparu et, avec elles, la contrepartie spectaculaire que les riches rendaient aux misérables.

En tant que classe possédant la richesse, ayant reçu avec la richesse l’obligation de dépense fonctionnelle, la bourgeoisie moderne se caractérise par le refus de principe qu’elle oppose à cette obligation. Elle s’est distinguée de l’aristocratie en ce qu’elle n’a consenti à dépenser que pour soi, à l’intérieur d’elle-même, c’est-à-dire en dissimulant ses dépenses, autant que possible, aux yeux des autres classes. Cette forme particulière est due, à l’origine, au développement de sa richesse à l’ombre d’une classe noble plus puissante qu’elle. A ces conceptions humiliantes de richesse restreinte ont répondu les conceptions rationalistes qu’elle a développées  à partir du XVIIe siècle et qui n’ont pas d’autre sens qu’une représentation du monde strictement économique, au sens vulgaire, au sens bourgeois du mot. La haine de la dépense est la raison d’être et la justification de la bourgeoisie : elle est en même temps le principe de son effroyable hypocrisie. Les bourgeois ont utilisé les prodigalités de la société féodale comme un grief fondamental et, après s’être emparés du pouvoir, ils se sont cru, du fait de leurs habitudes de dissimulation, en état de pratiquer une domination acceptable aux classes pauvres. Et il est juste de reconnaître que le peuple est incapable des les haïr autant que ses anciens maîtres : dans la mesure où précisément, il est incapable de les aimer, car il leur est impossible de dissimuler, du moins, un visage sordide, si rapace sans noblesse et si affreusement petit que toute vie humaine, à les voir, semble dégradée.

Contre eux, la conscience populaire est réduite à maintenir profondément le principe de dépense en représentant l’existence bourgeoise comme la honte de l’homme et comme une sinistre annulation. »

Paméla Ramos

Née en 1980 en France, ancienne libraire, je travaille dans l'édition et la communication. Mes chroniques ici postées sont le reflet de ma passion principale : lire. Elles découlent de choix parfaitement libres et ne sont jamais rémunérées. Lorsqu'un livre m'a été offert, je l'indique.

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